L'élève
- Par fabienne-prajnana
- Le 16/02/2020
Tous mes élèves me sont précieux et j’apprends beaucoup d’eux. Certains, toutefois, laissent une trace plus particulière. Ainsi de toi.
Tu avais un prénom de chauffeur de luxe. Où nous a menés ce bref voyage dans ma grosse limousine, où l’as-tu conduite ? On dirait que tu l’as finalement prise pour ton usage personnel, en dehors de tes appointements et heures travaillées, pour un dernier voyage, pour quelle raison et pour aller où ?
Tu es arrivé, il y a presque deux ans, au cours dans le 20ème, avec ton ami. Tu avais mal à la nuque à cause du travail sur ordinateur. Déjà, ton travail semblait te faire du mal en même temps que du bien. Tu t’es finalement installé dans le cours à Micadanses où tu es venu presque tous les jeudis pendant deux ans. Tu as transformé complètement ce cours par ta présence. Pour mes autres cours, j’ai la prétention de penser que je dois leur succès à mes mérites et qualités personnels. Mais pour ce cours, je pense que nous l’avons porté pour moitié, que les personnes sont venues régulièrement autant pour le contenu du cours que par ce qu’apportait ta présence. Joyeux, plein d’humour, très sociable, gentil avec tout le monde, trouvant toujours le mot juste dont avait besoin la personne. L’ensemble du cours se passait « dans un mélange de concentration (moi) et de bonne humeur (toi) ». De quoi avoir envie de revenir tous les jeudis.
Toi-même tu écrivais sur mon site, il y a un an : « Le cours de Fabienne m’est rapidement devenu nécessaire », « Je ressors chaque fois agréablement fatigué, le corps et l’esprit apaisés. Après un an de pratique, je regrette seulement de n’être pas venu plus tôt ! » Pourtant, il semblerait que j’ai bien failli dans ma tâche : l’esprit ne s’est pas apaisé, et je n’ai pas même vraiment identifié qu’il avait besoin de l’être. Au mieux, j’avais identifié un trop grand volontarisme, trop d’efforts, les muscles trop tendus, la respiration trop tonique, quelquefois en apnée, le sternum trop plein d’énergie et de tension. Toutes particularités dont la majorité des élèves auraient besoin d’être rechargés, chez toi cela avait besoin d’être un peu tempéré. Ce volontarisme t’a permis de faire de très grands progrès, très rapidement ; tu étais toujours devant, ceux de derrière te prenant comme modèle. C’était ta personnalité, c’est avec ces particularités que tu as vécu une vie très riche d'expériences, et avec elles que tu es parti avec un courage que j’admire beaucoup et que j’envie un peu, même si je t’en veux un peu aussi de nous avoir laissés à ramer seuls et d’être parti ainsi sans prévenir avec la limousine.
Parti où ? Tu semblais donc beaucoup plus tourmenté que je ne me l’étais représenté ; je ne m’étais même pas représenté que tu pouvais l’être un peu. J'espère que tu as pu trouver un peu d'apaisement et de réparation dans l'espace où tu te trouves. "L’Au-delà"... avec ce que j'en ai entr’aperçu par l’intermédiaire d’êtres chers et les quelques indications données par les traditions spirituelles. Prenons par exemple un être très simple : complètement au hasard, un lapin, par exemple. Suivant Hazel, la douce créature se retrouvera pendant quelques semaines dans une sorte de cabane pour se reposer et se réparer de ses blessures physiques et émotionnelles, si sa mort a été difficile ou sa maladie longue et éprouvante, veillé pour cela par une âme élue. Une fois, reposé et réparé, l’être tout simple, ayant toujours vécu dans l’instant joyeux, pourra gambader dans la bruyère librement, sans aucun tracas, gardant ou non une connexion avec les êtres qu’il a laissés sur terre. Image idyllique du paradis. Je ne suis pas sûre que cela se passe ainsi pour les êtres humains compliqués que nous sommes. Nous laissons nos fardeaux physiques (maladie, vieillesse, difficultés matérielles…) mais le fardeau mental, nous l’emportons avec nous ; ce qui n’a pas été réglé sur terre, devra l’être, le chemin continue. Donc, il y aura peut-être d’autres jeudis, dans des existences futures… Si tu peux, si tu veux, à l’occasion, tu me diras quelque chose à propos de tout cela...
« Après un an de pratique, je regrette seulement de n’être pas venu plus tôt », écrivais-tu, donc, il y a un an. Et pourquoi, après deux ans de pratique, n’es-tu pas aussi venu « plus tard » ? Nous t’avons attendu jeudi dernier ; le cours ne t’a pas été « nécessaire », ce jeudi-là ? Tu as préféré partir ailleurs sans nous laisser une chance ? Après le cours, je me suis assise sur le divan rouge pour mettre mes chaussures. Moi qui ai toujours assez détesté ce grand hall au sous-sol, sans air et sans lumière, j’ai soudainement trouvé tous ces canapés formidables, uniques, c’était très doux. J’étais seule dans le hall, mais peut-être pas tout à fait. Tu utilisais beaucoup ces canapés dans tes conversations animées avec chacun, avant et après le cours. C’est la dernière image que j’ai reçue de toi : assis sur ce canapé rouge, bavardant avec vivacité avec ton amie ; et je t’ai dit : « Au revoir les artistes ! »
Nous étions les deux professeurs pour ce cours. J’ai perdu non pas un élève, mais mon précieux associé. J’étais la scénariste, tu étais le coloriste. Si tu peux, si tu veux, tu es invité à poursuivre cette collaboration en tant que coloriste, subtilement.
Tu manques beaucoup à toutes les élèves avec lesquelles tu as bavardé ; tu as semé une graine de joie, d’amitié, de fantaisie et d’humour que nous nous emploierons à cultiver et faire fleurir.
Les oiseaux continuent de célébrer chaque matin comme si c'était le premier. Le ciel est peuplé d'oiseaux. Je crois que tu es présent parmi ces oiseaux.