Paris, le 7 janvier 2015

Paris, jeudi matin, 8 janvier.

Le lendemain ...

Comme tout était doux ce matin et empli de gentillesse. J’ai pu en profiter pleinement : le jeudi matin, j’ai toujours une heure de métro en sardines compressées, et une autre en retour. Cette qualité de délicatesse, de gentillesse, d’attention à l’autre, depuis hier soir, m’envahit immédiatement, ce matin, dans le métro parisien. Une part de cela est probablement dans la perception que j’en ai, bien sûr, comme toujours ; mais pas seulement : il y a là quelque chose de collectif. Quand les petitesses, que l’on pourrait quelquefois qualifier d’ignobles si l’on s’obstinait à vouloir qualifier, quand elles sont très vivement secouées,  se relâchent, cèdent, et se révèle alors  la conscience de notre humanité qui nous relie dans ce qu’elle a de meilleur. Comme tous le jeudis matins, tôt le matin, mal réveillés, compressés, nous sommes tous silencieux. Mais il y a ce matin, quelque chose de différent. Dans le sérieux de ces visages silencieux, il n’y a pas de fermeture, mais de la douceur et du respect. Une gentillesse, une attention particulière à faire de la place à celui qui veut monter, de la politesse à se frayer un chemin pour sortir, de la délicatesse pour laisser sortir. Personne ne songerait, ce matin, à exprimer des mouvements d’impatience. Pour ma part, je profite pleinement de cette heure, debout, compressée, sans aucune fatigue. Chacun est occupé, ou pas. Les tablettes. Ce matin, je regarde : un film sous-titré, sans rapport avec l’actualité ; des journaux. Oh ! le grand retour des journaux ce matin ! tous avec les mêmes  titres ; et même des livres, ce matin.  Et ceux calmement et patiemment debout à ne rien faire. Mes larmes ont coulé pendant tout le trajet. Pas des larmes de tristesse, ni d’angoisse,  ni de peur de perdre quelque chose. En somme, nous allons tous très  bien, dans cette rame, ce matin ; moi, je vais donner un cours de yoga. Au-delà du fatras des émotions, le sentiment de communion qui affleure ; sans doute proche de celui du condamné à mort sur le chemin de son exécution auquel la beauté du monde se révèle. Sa perfection. Tout a sa place, comme dans un ballet. Changement à République. Les couloirs. Les silencieux, discipline : ceux qui vont dans un sens, d’un côté, ceux qui vont dans l’autre sens, de l’autre côté ; présence discrète de quelques policiers ; le sans-abri assis par terre, probablement pas au courant, mais intégré dans le ballet ; doux sourires et conversations tranquilles, au kiosque de boulangerie ; les légumiers paisiblement à leurs affaires. Tout est si touchant. Sortie dans la rue. Je suis attentive à tout, tous les sons me sont doux et me touchent. Les bribes de conversation, au passage, légères, sans rapport avec l’actualité, très amicales ; les chiens joyeux et fidèles compagnons, faisant semblant de ne pas savoir ; la femme voilée : que ressent celle-ci aujourd’hui ? même les voitures semblent attentives à klaxonner plus doucement, ce matin. Trajet-retour. Sur le quai, le monsieur qui émet un grognement à l’annonce de l’arrêt du métro à midi A midi moins le quart, j’arrive chez moi. Juste le temps de me changer et de servir mes  trois trésors de lapins en foin, immuablement réclameurs : leur prodiguer mes bons soins dépend aussi de l’état de paix dans lequel vit mon pays. A midi moins 5, je m’installe en méditation devant ma fenêtre ouverte, yeux ouverts sur les rumeurs du monde. A midi, il n’y  a pas eu de feu d’artifice, pas de klaxons, pas de révolution. De ma fenêtre, la pluie est tombée légèrement plus drue du vaste ciel , toujours changeant mais toujours sans jugement et amical. Les cloches de l’église du Jourdain, qui sonnent toujours joliment pendant 10 mn à cette heure-là. Et le joyeux grignotement du foin de mes lapins. Rien d’autre. Je pense à tous les endroits que je connais qui observe peut-être, en ce moment, cet instant de silence. Aux endroits que je ne connais pas, aussi. A la diversité du bouquet d’humains, en cette ville, en cet instant. Aux indifférents. Aux grognons. Aux jeunes assassins eux-mêmes : en cette minute, que ressentent-ils ? Ce vaste ballet. Moi-même, comment je peux me positionner de la façon la plus juste dans ce ballet, avec mon histoire personnelle, sans émotion, vigilante aux récupérations de toutes sortes. A midi et quart, je me suis levée pour faire la vaisselle. Attentive à rester douce avec chaque couvert, ressenti comme ami. Cette attention, à l’autre, au monde, à soi, cette douceur, cette vigilance, cette conscience d’un ballet  toujours juste, précis, exact, toujours en mouvement, il faut quelquefois être secoué très fort pour qu’ils se révèlent. Où prennent racine la haine, le refus de la différence, de l’autre ? Nous y participons tous. Cela fait aussi partie du ballet