Pratiquer seul ou en groupe ?

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Dans quelle mesure la pratique (de la méditation, des asanas, de la sadhana) en groupe est-elle utile, nécessaire, profitable ou encore, sous certains points de vue peut-être, quelquefois préjudiciable, c'est sur cela que je voudrais poser quelques interrogations et quelques pistes aujourd'hui.

   Les yogis aiment souvent pratiquer en groupe.

   Pourquoi?

   Selon mon expérience, que ce soit pour les cours de yoga ou pour la méditation, l'on est porté par l'énergie du groupe, surtout quand celui-ci  pratique toujours dans un même lieu, et les expériences y sont plus fortes, plus profondes. Cette expérience, infiniment douce, réconfortante, gratifiante, pousse à  revenir, encore et encore, pratiquer en groupe pour prendre son bienheureux  bain de transcendance et, quelquefois, choisir de ne plus sortir du bain.

   Dans certains cas, pour les personnes peu courageuses et facilement enclines à laisser tomber leur pratique, la pratique en groupe peut-être aussi un bon outil de soutien pour persévérer, aiguiser les facultés de courage et d'assiduité.

   Cette pratique d'exercices en groupe, peut s'étendre à toute une vie. Certains aspirants, deviennent moines ou séjournent, sans devenir moines, en permanence  dans un ashram. C'est toute leur vie qui est soutenue par l'énergie du groupe. Dans un monastère zen, chaque instant de la journée, et toute activité, sont définis avec précision, introduits par le son du gong et de divers autres instruments, il n'y a plus qu'à se laisser couler dans le rythme, abandonnant toute initiative personnelle.

   J'ai vécu, moi-même, certaines périodes de ma vie dans ces conditions.

   Et si on ne pratique plus en groupe, se retrouvant seul avec sa pratique et sa vie? A t-on gagné davantage en profondeur dans la pratique, gagné davantage en sagesse, en liberté, en autonomie?

   C'est ce qui ne me semble pas, aujourdhui.

   Se muscler seul pour trouver l'énergie de pratiquer les asanas, la méditation ; se muscler seul à la vigilance. Le résultat ne se perd pas, quelles que soient les conditions.

   Ce serait peut-être comme toujours pratiquer la posture sur la tête contre un mur.

   Pourquoi faire cela? - Parce que l'on a peur. Ou parce que l'on veut une posture parfaite, bien alignée, tout de suite.

   On peut ainsi rester contre un mur toute sa vie. Avec le temps, la posture contre le mur devient de plus en plus droite, presque parfaite.

   Et si on enlève le mur ? (surtout si l'on a pratiqué  contre celui-ci , pendant un an, deux  ans, plus quelquefois) - Eh bien, on ne peut rien faire. "J'ai besoin  de mon mur : j'ai fait des progrès mesurables avec lui, je veux mon mur. Il n'y a qu'à voir ceux qui pratiquent sans mur : ils sont tout tordus. Je suis un adepte du mur, qui m'a tant donné, et je fais partie de la famille des pratiquants du mur, qui en témoignent tous le même bien, et sont tous très droits. Hare le Mur".

   Se servir du mur, oui pourquoi pas, deux ou trois fois, dix fois tout au plus, pour prendre confiance. Plus tard, lorsque l'on parvient à monter dans  la posture complète, y revenir, quelquefois, pas trop souvent, à l'occasion,  pour redéfinir l'exactitude de l'alignement, d'une autre façon. Oui. Diversifications des procédés.

  Mais, très vite, se passer de ce mur. La colonne vertébrale peut être en S, mal placée, on peut mettre  plus de temps pour monter  dans la posture complète. Mais le corps trouve, jour après jour, sa force en lui-même, ses sensations d'alignement en lui-même. C'est long, courageux, mais le résultat, c'est davantage de force et, par dessus tout, encore une fois, l'autonomie. Cela ne se perd pas.

  Autre raison invoquée pour pratiquer sa sadhana  en groupe : ce qui est appelé "la fréquentation des Sages".

   Avoir le darshan d'un véritable Sage, séjourner auprès de lui, peut-être complètement décisif dans une vie. Jusqu'à  ce que l'on puisse se tenir debout, seul.

   Passer sa vie dans ce que l'on identifie comme sa famille spirituelle, ses frères et ses soeurs, peut-être très plaisant, et pourquoi s'en priver, si cela correspond à ses inclinations. Mais cela relève de tout autre chose  que de la fréquentation des sages. Quel que soit, l'ashram, le temple, le monastère qui a été élu pour y passer sa vie ou pour y faire des retraites, et le temps de sadhana de certains séjournants, il n'y a souvent, en tentant de considérer les faits avec honnêteté, pas plus de raisons d'appeler un sage un frère ou une  soeur, permanents ou en séjour (tous en chemin, quelle que soit la place attribuée à certains selon la hiérarchie du lieu) , que toute autre personne ne pratiquant rien de ce qui est communément rattaché à une sadhana spirituelle. Simplement, dans ce type d'endroits, tout le monde pratique la même chose, au même moment, sur le fond de certains présupposés communs de philosophie, pour ne pas dire, quelquefois, de croyances. C'est un type de vie qui peut être celui qui nous correspond, pour une période ou pour toute la vie, mais qui n'a pas grand chose à voir avec ce qui est appelé la fréquentation des Sages. Et que je ne crois pas, aujourd'hui, nécessaire au déroulement d'une sadhana efficace, quelquefois, il me semble même qu'il peut être préjudiciable, dans certains cas, au bout d'un certain temps, en enfermant dans des habitudes et un confort, en excluant des aspects de la vie avec, souvent, un jugement de valeur à la clé ("négatif", par exemple) : il peut ainsi rigidifier, scléroser, restreindre, au lieu de libérer, et ceci avec les meilleures intentions du monde et au prix de grands efforts.

   Se coltiner, au quotidien, avec les personnes, les lieux, les plus dissemblables dans leur mode de vie  et pratiques que  les siens propres, pourrait, peut-être bien, être beaucoup plus formateur. Parcourir, expérimenter, goûter, pleinement, sans défense et sans réserve, ce qui est premièrement perçu comme des contraires, jusqu'à percevoir l'illusion de cette dualité, englober tout, se fondre en tout, nager à l'aise avec tout courant qui se présente, soutenu  toujours par le même flux de Vie.

   Encore une fois, cela revient à travailler sans le support du mur pour la posture sur la tête.

   Difficile, long, périlleux, et le corps trouve sa sensation et sa force seul. La force que l'on a trouvée est plus grande. L'autonomie est gagnée. L'autonomie, but de la sadhana.

   Alors ?

   Peut-être une habile combinaison et alternance des deux, privilégiant, selon ma sensibilité aujourd'hui, le chemin parcouru de manière autonome, où bientôt le support pourrait ne plus être d'aucune utilité, jamais; et tant mieux. Pas de famille spirituelle, pas de famille, pas de frères et soeurs, ni même de cousins. S'exposer à tout, dire Oui à tout. Ne se protéger de rien.  A l'aise, partout, toujours. Unité avec le grand Tout.  Et s'exercer à Cela, à cette grande ambition, peut commencer maintenant, a tout profit à commencer dès maintenant. Ambition et Audace.

   Suivre ses inclinations, oui ; donner à son histoire personnelle, à ses demandes et à ses faims, toute satisfaction ; se servir, momentanément, de toutes les aides rencontrées, en varier. Puis les laisser aller, s'en dépouiller, comme de tout le reste. Et  ne pas, par confort, aller croire, puis déclarer nécessaire quelque chose qui n'est peut-être que de l'ordre d'une inclination, peut-être même d'une nostalgie, personnelle ou collective.

   Aujourd'hui, dès maintenant, je sonne moi-même, à chaque instant, le gong , je suis à l'écoute de ce gong intérieur qui me rappelle à la Vigilance, dans tout ce que je fais, tout ce que je vois,  tout ce que je suis, tout ce qui se présente devant moi, à chaque instant, et que j'accueille avec un grand Oui, tout ce qui EST.

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